Newsflash
Protection des données et de la vie privée
Concurrence déloyale et propriété intellectuelle
Droit des affaires et gouvernance d'entreprise

Dans un jugement récent, le tribunal du travail de Liège a examiné la violation d'une clause de non-concurrence par un représentant de commerce et la tierce-complicité à cette violation. Il s'est également prononcé sur la valeur probante d’e-mails obtenus irrégulièrement à partir de la boite e-mails de l'ex-travailleur.

Contexte

Un représentant de commerce était lié par un contrat de travail à durée indéterminée contenant une clause de non-concurrence. Le représentant de commerce a mis fin au contrat de travail moyennant préavis et a, dans ce contexte, envoyé un e-mail annonçant qu'il quittait l’entreprise et indiquant la personne pouvant être contactée après son départ. Par la suite, le représentant de commerce est entré au service d'une entreprise concurrente, exerçant des activités identiques et se situant, par ailleurs, dans la même région que l'ex-employeur.

Après en avoir pris connaissance, l’ex-employeur a mis le représentant de commerce en demeure pour violation de la clause de non-concurrence et l’a sommé de lui payer l'indemnité forfaitaire y étant liée. En outre, le nouvel employeur a également été mis en demeure pour tierce-complicité à la violation de l’obligation contractuelle de non-concurrence.

Ni le représentant de commerce ni le nouvel employeur n' ayant donné suite à cette mise en demeure, l'ex-employeur a saisi le tribunal. Le tribunal devait se prononcer sur les deux points suivants : la violation de la clause de non-concurrence et ses conséquences, et la tierce-complicité à la violation contractuelle et la preuve du dommage.

La violation de la clause de non-concurrence et ses conséquences

Le tribunal constate qu'il n'est pas contesté que le représentant de commerce avait violé la clause de non-concurrence et que celui-ci est par conséquent redevable d’une indemnité forfaitaire à son ex-employeur. Toutefois, le représentant de commerce ne peut être condamné à payer des dommages-intérêts supplémentaires pour les dommages que l'ex-employeur aurait effectivement subi en raison de la violation de la clause de non-concurrence.

Enfin, le tribunal confirme que le représentant de commerce peut être condamné in solidum avec son nouvel employeur à payer -l’indemnité forfaitaire. En effet, il existe une faute extracontractuelle dans le chef du nouvel employeur (la complicité dans la violation de la clause de non-concurrence) qui est en lien causal avec le dommage causé à l'ex-employeur.

Tierce-complicité dans la violation contractuelle et preuve (obtenue de manière irrégulière) du dommage

Le tribunal confirme l'existence d'une tierce-complicité à la violation contractuelle dans le chef du nouvel employeur. L'argument du nouvel employeur selon lequel il n'avait pas connaissance de la clause de non-concurrence au moment de l'entrée en service n'est pas retenu et démontre, selon le tribunal, la mauvaise foi, ou à tout le moins une légèreté coupable dans le chef du nouvel employeur. Lors des entretiens d'embauche ou au moins au moment de l'entrée en service, le nouvel employeur savait (ou aurait dû savoir) que son nouveau travailleur avait occupé la même fonction chez un concurrent direct. Le nouvel employeur aurait donc dû s’informer auprès de son futur travailleur au sujet de l'existence d'une clause de non-concurrence.

Le tribunal examine ensuite la demande d'indemnisation du préjudice réel prétendument subi par l'ex-employeur du fait de la complicité à la violation de la clause de non-concurrence. Pour prouver son préjudice, l'ex-employeur présente un certain nombre d’e-mails qui avaient encore été envoyés accidentellement par des clients à l'ancienne adresse e-mail professionnelle du représentant de commerce. Le représentant de commerce estimait que ces e-mails devaient être exclus des débats, étant donné qu’ils avaient été obtenus en violation de ses droits en matière de vie privée et de protection des données. Il est incontestable que l'adresse e-mail professionnelle du représentant n'avait pas été désactivée après sa sortie de service et que l'ex-employeur l’a ensuite encore consultée pendant 13 mois. Selon le tribunal, l'ex-employeur aurait dû supprimer l'adresse e-mail professionnelle du représentant de commerce au moment de la sortie de service. Par conséquent, les e-mails produits constituent une preuve obtenue de manière irrégulière.

Le tribunal vérifie ensuite si la preuve obtenue de manière irrégulière pouvait encore être acceptée comme preuve du dommage. En effet, sur la base de ces e-mails, l'ex-employeur pouvait établir que les clients passaient également des commandes auprès de leurs concurrents par l'intermédiaire de l'ex-représentant de commerce. À cet égard, le tribunal se réfère à la jurisprudence de la Cour de cassation, qui accepte les preuves irrégulières, à condition que l'irrégularité n'affecte pas la fiabilité de la preuve et qu’elle ne porte pas atteinte au droit à un procès équitable. Il y a cependant toujours lieu de tenir compte de la manière dont la preuve a été obtenue, des circonstances dans lesquelles l'irrégularité a été commise et de sa gravité, de la mesure dans laquelle elle porte atteinte aux droits de la partie adverse, de la nécessité de la preuve et de l'attitude de la partie adverse. Le tribunal constate que les parties n'ont pas remis en cause la fiabilité des preuves, respectant ainsi le droit à un procès équitable. L'ex-employeur a obtenu les preuves de manière passive. Il n'a pas utilisé de procédés ou de manœuvres frauduleuses pour accéder à la boîte e-mail du représentant de commerce. Dès lors, les e-mails irrégulièrement obtenus ne doivent pas être écartés des débats.

Le tribunal conclut néanmoins que l'ex-employeur ne parvient pas à démontrer un préjudice consistant en une perte de clientèle ou une diminution du chiffre d'affaires. Les preuves présentées montrent seulement que le représentant de commerce a eu des contacts avec ses clients. En effet, la perte de clientèle ou la diminution du chiffre d'affaires peut être due à d'autres causes : baisse d'activité due à la crise sanitaire, absence de recrutement d'un nouveau représentant de commerce et clients imprévisibles. Il s'agit plutôt d'une perte d'une chance qui constitue un préjudice non-indemnisable. La demande en réparation du préjudice réel est donc rejetée par le tribunal.

Points d'attention

  1. Lors du recrutement , il est important de vérifier si le candidat est lié par une clause de non-concurrence. En cas de violation de la clause de non-concurrence, le nouvel employeur peut être considéré comme complice et être condamné in solidum avec son nouveau travailleur au paiement d’une indemnité.
  1. Bien que ce jugement ait retenu comme éléments de preuve les e-mails irrégulièrement obtenus via la boîte e-mails d’un ex-travailleur, une certaine prudence s'impose. En effet, dans le cadre de cette affaire, des circonstances spécifiques ont été prises en considération, ainsi que les conditions de la jurisprudence relatives à l'acceptation de preuves obtenues de manière irrégulière. De plus, cela n'enlève rien à la constatation effective par le tribunal que les preuves ont été obtenues en violation des dispositions du RGPD. Il est important de suivre les conseils de l'APD sur la clôture des boites e-mails lors de la sortie de service (voir notre newsflash du 20 décembre 2021). Contrairement au tribunal, l'APD accepte que la boite e-mails ne doive pas être supprimée immédiatement lors de la sortie de service, mais qu'elle puisse être conservée pendant 1 à 3 mois pour envoyer un message « out-of-office ».