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Relations collectives de travail

Afin de faire campagne contre la loi sur la norme salariale adoptée dans le cadre de l’accord interprofessionnel, une journée d'action nationale aura lieu ce vendredi 24 septembre. L’occupation de travailleurs intérimaires est en principe interdit pendant une grève. Mais quand est-il réellement question d'une grève ? Est-ce qu’aucun travailleur intérimaire ne peut être occupé  ce jour-là ? Et qu'en est-il de la rémunération des travailleurs et des travailleurs intérimaires ?  

Occupation de travailleurs intérimaires : jusqu'où va l'interdiction ?

La convention collective de travail n° 108 prévoit qu'une entreprise de travail intérimaire ne peut pas mettre des travailleurs intérimaires ou les maintenir au travail chez un utilisateur pendant une grève (ou un lock-out). L'interdiction semble formulée de manière large, mais l'intention sous-jacente est claire : il faut éviter qu'une action de grève puisse être « brisée » en remplaçant les grévistes par des travailleurs intérimaires. Dans ce cas, la grève manquerait effectivement son objectif et le droit de grève serait en pratique vidé de sa substance.

Selon le SPF Emploi, l'interdiction doit être examinée par catégorie de personnel et par établissement. Selon cette approche, rien n'empêche donc de recourir à des travailleurs intérimaires pour des fonctions d’employés si seuls des ouvriers sont en grève. Si une entreprise est composée de plusieurs établissements, le recours aux travailleurs intérimaires n'est par ailleurs interdit que dans les établissements où une grève a effectivement lieu.

La jurisprudence récente interprète l'interdiction de manière encore plus stricte, en tenant compte de l'objectif poursuivi par celle-ci.  La Cour d'appel d'Anvers a ainsi dû se prononcer sur une situation où des travailleurs intérimaires, habituellement occupés au sein de l'entreprise, travaillaient également le jour d'une action nationale. Les services d'inspection avaient constaté une infraction à l'interdiction d’occupation sur la base d'une liste de travailleurs intérimaires ayant effectué des prestations ce jour-là. La Cour a tout d’abord estimé que l'existence d'une grève n’était pas démontrée et que les services d’inspections (et l'auditorat du travail) n’avaient pas recherché à quelles catégories professionnelles appartenaient les grévistes et les intérimaires et dans quelles divisions ils étaient occupés. Tant l'entreprise de travail intérimaire que l'utilisateur ont été acquittés.

Le Tribunal correctionnel de Malines a également rendu un jugement intéressant dans ce contexte. La question était de savoir si une entreprise de travail intérimaire qui avait mis à disposition des travailleurs intérimaires chez deux utilisateurs pendant une journée de grève nationale avait violé l'interdiction de la convention collective de travail n° 108. Le Tribunal a conclu qu'il s'agissait d'une grève, mais que pour l'interdiction il fallait faire une distinction entre les travailleurs intérimaires existants et les nouveaux, occupés après le préavis de grève. Appliquer l'interdiction sans autre forme de procès aux travailleurs intérimaires qui étaient déjà occupés par l'utilisateur depuis un certain temps avant le début de la grève constitue une violation du principe d'égalité, selon le Tribunal. L’agence d’intérim a été acquittée, dès lors qu’aucune preuve n’avait été apportée quant au fait que les travailleurs intérimaires avaient été utilisés pour remplacer les travailleurs en grève.

Pour évaluer s’il y a eu violation de l’interdiction, la jurisprudence récente attache ainsi de l'importance au fait que les travailleurs intérimaires concernés aient effectivement débuté leurs prestations le jour de la grève pour remplacer les travailleurs grévistes. Sur base de cette jurisprudence, on peut également soutenir qu'une grève ne signifie pas automatiquement qu'aucun travailleur intérimaire ne peut travailler ce jour-là dans l’entreprise dans laquelle la grève se déroule. Une telle interprétation constituerait d’ailleurs une atteinte au droit au travail des travailleurs intérimaires. Cependant, les services d'inspection de certaines régions continuent à prendre des mesures strictes si les organisations syndicales leur demandent de procéder à une inspection dans des entreprises spécifiques.

Le Code pénal social prévoit l'imposition d'une sanction de niveau 2 pour chaque violation de l'interdiction (400 à 4 000 euros pour une amende pénale ou 200 à 2 000 euros pour une amende administrative). Ces montants doivent être multipliés par le nombre de travailleurs intérimaires pour lesquels une infraction est constatée. Toutefois, conformément aux interprétations ci-dessus, une infraction doit être évaluée au cas par cas.

Il n'existe pas d'interdiction similaire pour les travailleurs indépendants et autres sous-traitants travaillant dans votre entreprise en date du  24 septembre. Ils peuvent donc continuer à offrir leurs services.

Pas de droit à la rémunération

Selon le principe de base, la rémunération est versée en contrepartie du travail effectué dans le cadre de l'exécution du contrat de travail. Toutefois, la loi relative aux contrats de travail prévoit qu'un travailleur qui ne se présente pas sur le lieu de travail ou arrive en retard, ou qui est incapable de commencer ou de poursuivre le travail, a tout de même droit à un salaire sous certaines conditions. Selon la loi, aucune rémunération n'est due si l'impossibilité  de travailler est due à une grève. C'est le cas tant pour le travailleur/travailleur intérimaire qui est en grève que pour le travailleur/travailleur intérimaire qui souhaite travailler mais ne peut le faire parce que la grève l'en empêche.

« Grève » ?

Enfin, la question se pose de savoir si une action nationale  telle que celle prévue le 24 septembre constitue effectivement une « grève ». L'arrêt précité de la Cour d'appel d’Anvers a confirmé que l'interdiction générale ne s'applique qu'en cas de grève, et ne s'applique donc pas automatiquement à toute action ou manifestation. Cependant, la CCT n° 108 ne définit pas le concept de grève. Au regard de cette considération, une partie de la jurisprudence est guidée par le nombre de travailleurs impliqués et l'impact de la grève sur le fonctionnement de l'entreprise concernée.

Il est clair que la sécurité juridique fait cruellement défaut dans ces questions. Bien qu'il existe des interprétations plus souples de l'interdiction d’occuper des travailleurs intérimaires lors d’une grève, cela ne signifie pas nécessairement que les services d’inspection compétents suivront ces points de en cas de contrôle. 

Point d'action

Bien que l'interdiction d’occuper des travailleurs intérimaires pendant une grève soit formulée en termes généraux, elle ne peut selon une certaine jurisprudence être appliquée que si les travailleurs intérimaires sont effectivement utilisés pour remplacer des travailleurs en grève et donc dans l’objectif de « briser » la grève. Cependant, les services d'inspection et le SPF Emploi ne semblent pas suivre cette interprétation pour l'instant.