Newsflash
Discrimination

Dans un jugement du 29 septembre 2020, le tribunal du travail d’Anvers a condamné une société au paiement d’une indemnité équivalente à 18 mois de rémunération à une candidate-travailleuse qui était sourde et enceinte lorsqu’elle avait postulé. Etant donné que la société l’avait, selon le tribunal, discriminée à trois reprises, l’indemnité forfaitaire que la loi prévoit pour les victimes de discrimination en matière de relations de travail doit être payée trois fois. Il s’agit d’un jugement exceptionnel étant donné que le juge a retenu une triple discrimination et, pour la première fois, a cumulé les indemnités s’y rapportant.

La candidate avait postulé pour la fonction de Research and Development Assistent auprès d’une société pharmaceutique. Selon l’offre d’emploi, un profil scientifique était recherché et les tâches consisteraient à assister les Product Managers dans leurs activités scientifiques, e. a. en rédigeant les bulletins techniques, en organisant les jours d’étude scientifique, etc.

Un jour après sa candidature, la candidate fut déjà invitée à un entretien téléphonique avec un Product Manager. Elle répondit que cela était difficile pour elle étant donné qu’elle présente des problèmes d’audition et demanda si la communication pouvait éventuellement être poursuivie par e-mail ou si un rendez-vous pouvait être fixé. Le Product Manager fut d’accord de planifier un rendez-vous et ajouta « la surdité est un problème mais il voulait voir si c’était un petit ou un gros problème ». Après l’entrevue, la candidate reçut une offre d’emploi administratif temporaire pour la saisine de données. Selon le Product Manager, il s’agissait d’une occasion pour elle d’apprendre à connaitre la société et d’acquérir de l’expérience. La candidate n’accepta pas cette offre et ne fut finalement pas non plus retenue pour la fonction de Research and Development Assistent.

Triple discrimination

L’ancienne candidate, soutenue par Unia et l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes, contesta cette situation devant le tribunal du travail, estimant avoir été victime d’une triple discrimination. Elle réclamait à ce titre trois fois l’indemnité forfaitaire de six mois de rémunération sur la base de la loi générale anti-discrimination et de la loi genre.

Premièrement, elle déclarait avoir été discriminée au cours de la procédure de recrutement sur la base de son handicap. Les parties s’accordent sur le fait que sa limitation auditive est constitutive d’un « handicap » au sens de la législation anti-discrimination. La candidate déclarait qu’elle était la seule à avoir reçu une proposition en vue d’effectuer une mission supplémentaire temporaire et que les autres candidats n’avaient pas reçu pareille proposition. Selon le tribunal, il y a une présomption de discrimination et l’entreprise n’a pas réussi à démontrer qu’il n’y avait pas de lien entre la mission temporaire et la limitation auditive. De plus, le tribunal souligne dans ce cadre que (i) cette candidate n’avait été convoquée qu’à un seul entretien alors que les autres candidats avaient été reçus au moins à deux reprises, (ii) que l’entreprise n’avait jamais répondu à l’e-mail de la candidate concernant la manière de gérer sa surdité au sein de l’entreprise et (iii) qu’une analyse approfondie n’avait jamais été réalisée quant à l’impact réel de sa surdité sur une éventuelle collaboration. Selon le tribunal, il était donc question d’une discrimination directe sur la base du handicap au cours de la procédure de recrutement.

Deuxièmement, la candidate déclarait qu’elle avait également été discriminée en ce qui concerne la décision de (non-)recrutement sur la base de son handicap. Le tribunal a également jugé sur ce point qu’il y avait une présomption de discrimination qui n’avait pas été suffisamment renversée par l’entreprise. Du contenu de l’offre d’emploi, il apparaissait que la société était à la recherche d’un profil scientifique. La candidate disposait d’un doctorat en sciences de bio-ingénierie. De plus, la fonction devait consister principalement en des tâches rédactionnelles et il n’y avait pas d’exigences professionnelles substantielles et déterminantes quant au fait de ne pas avoir de limitation auditive pour la fonction de Research and Development Assistent. Selon le tribunal, la candidate n’a pas été retenue en raison de sa limitation auditive et il est donc également question d’une discrimination directe sur la base du handicap pour la décision de non-recrutement.

Enfin, la candidate déclarait qu’elle était discriminée dès lors qu’elle n’avait pas été retenue pour des motifs en lien avec sa grossesse, un critère protégé par la loi genre. Selon le tribunal, il ressortait des communications avec l’entreprise que la candidate avait été traitée de manière défavorable en raison du fait qu’elle n’aurait pas pu directement occuper un poste en conséquence de sa grossesse. Le tribunal retint donc également une discrimination directe sur la base du sexe.

Cumul d’indemnités

Le tribunal n’a pas seulement retenu la triple discrimination mais a également jugé que les trois indemnités correspondantes pouvaient être cumulées. Selon le tribunal, ce cumul n’est pas exclu dans la législation anti-discrimination, ni belge, ni européenne. Le refus de cumul aurait, selon le tribunal, constitué en lui-même une discrimination. En effet, la victime d’une discrimination multiple aurait ainsi été traitée de la même manière que la victime d’une discrimination sur la base d’un seul critère protégé, ce qui aurait été injustifié. Le cumul réclamé fut donc octroyé et la société fut condamnée au paiement d’une indemnité totale équivalente à 18 mois de rémunération. La société a déjà annoncé qu’elle ferait appel du jugement.

Point d'action

Ce jugement témoigne à nouveau d’un renforcement clair dans la jurisprudence en matière de discrimination. Il est donc important pour les employeurs, e. a. dans le cadre de procédures de recrutement, de prendre des décisions bien réfléchies et fondées et, lorsque cela est possible, de documenter ces dernières. De cette manière, le risque de discrimination peut être limité.