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Relations collectives de travail
Fiscalité et sécurité sociale

L’économie collaborative chamboule profondément la question de la nature des relations de travail. Si la question s’est d’abord posée de savoir si une plateforme peut être une partie à une relation de travail, la question se pose désormais, de plus en plus, de savoir quelle est la nature de la relation de travail qu’elle noue avec le travailleur.

Comme dans le cadre d’une relation de travail « classique », les parties sont libres de déterminer la nature de celle-ci : salariée ou indépendante. Encore faut-il que les modalités concrètes d’exécution des prestations correspondent avec la qualification choisie. Si l’exécution de la relation laisse apparaître suffisamment d’éléments qui sont incompatibles avec la qualification donnée par les parties, il peut y avoir requalification de la relation.

En Belgique, la Commission administrative de la relation de travail (CRT) avait déjà été interrogée concernant la qualification d’une relation de travail entre un coursier et Deliveroo, en estimant que la collaboration ne correspondait pas à une relation indépendante, mais bien à une relation salariée. La CRT s’était aussi déjà prononcée dans des dossiers Uber.

En revanche, en Belgique, la question n’avait pas encore été tranchée par un Tribunal du travail. C’est désormais chose faite.

Après plus de 2 ans d’enquête menée par l’Auditorat du travail au sujet des conditions de travail des coursiers Deliveroo, l’Auditorat a saisi le Tribunal du travail de Bruxelles en vue de faire constater une série d’infractions à la réglementation propre aux travailleurs salariés, et principalement à la réglementation relative à la sécurité sociale des travailleurs salariés.

Plusieurs coursiers s’étaient joints à la procédure, en réclamant (en considérant – comme l’Auditorat – qu’ils devaient être considérés comme des travailleurs salariés de la plateforme), l’application des dispositifs propres au droit du travail, notamment l’application de barèmes de rémunération, le remboursement de frais, le respect des CCT conclues dans les commissions paritaires « transport et logistique » (CP 140 et 140.03), etc.

Le Tribunal considère qu’il n’y a pas lieu de procéder à la requalification des relations de travail entre Deliveroo et les coursiers en contrat de travail. A noter que le Tribunal se prononce également sur l’application du régime fiscal favorable de l’économie collaborative, qu’il considère comme non applicable aux coursiers.

Pour ce qui concerne l’existence d’un éventuel contrat de travail, le Tribunal tient le raisonnement suivant.

Tout d’abord, il considère que les relations entre les coursiers et Deliveroo entrent dans le cadre d’une activité de transport de chose au sens de la loi-programme du 27 décembre 2006. Dans ce « secteur » (comme dans d’autres, tels que le secteur du nettoyage ou de la construction), il convient d’examiner la nature de la relation de travail à l’aune de 8 critères d’ordre socio-économiques, comme par exemple : le défaut, pour le coursier, d’un risque financier ou économique ; l’absence de pouvoir de décision concernant les moyens financiers de l’entreprise (c’est-à-dire de la plateforme) ; l’absence de pouvoir de décision concernant la politique d’achat de l’entreprise ; l’absence de possibilité d’engager du personnel pour exécuter le travail convenu ; le fait de travailler avec un véhicule dont le travailleur n’est pas le propriétaire ; etc.

Pour le Tribunal du travail, l’examen de ces critères socio-économiques propres au secteur du transport conduit à une présomption de contrat de travail.

Il ne s’agit toutefois que d’une présomption. Celle-ci peut être renversée par l’examen des quatre critères généraux établis pour déterminer la nature d’une relation de travail. Il s’agit des critères suivants : la volonté des parties ; la liberté d’organisation du temps de travail ; la liberté d’organisation du travail ; et l’existence d’un contrôle hiérarchique.

Le Tribunal analyse, ensuite, ces critères généraux, et retient qu’ils conduisent à renverser la présomption de contrat de travail. Pour le Tribunal :

  • La volonté des parties (selon les termes contractuels de leur collaboration) est de conclure une convention ayant pour objet des prestations indépendantes ;
  • La liberté d’organiser leur temps de travail n’apparait pas limitée dans le chef des coursiers. En particulier, le système de pré-réservations des plages horaires ne constitue pas une limitation à la liberté d’organisation du temps de travail des coursiers.
  • La liberté d’organisation du travail n’apparait pas davantage limitée dans le chef des coursiers. En particulier, pour le Tribunal, les coursiers sont libres de se déconnecter de la plateforme dès qu’ils le souhaitent, et ils n’ont pas d’obligation d’accepter une livraison tant qu’ils ne sont pas connectés. Ce n’est que si le coursier a accepté la prestation qu’il s’engage vis-à-vis de Deliveroo à effectuer celle-ci selon certaines directives.

Enfin, le Tribunal retient que les déclarations des coursiers reprises dans les conclusions de l’Auditeur du travail ne font apparaitre aucun élément révélateur de l’exercice concret d’un pouvoir hiérarchique par la plateforme.

Par conséquent, le Tribunal déboute l’Auditorat du travail et les coursiers intervenus à la cause de l’ensemble de leurs demandes.

Cette décision était fort attendue, et pourrait faire jurisprudence, de manière plus globale, dans le débat relatif à la nature de la relation de travail avec une plateforme d’économie collaborative. La situation propre à chaque plateforme doit bien sûr s’analyser au cas par cas.

Hasard de calendrier, c’est hier (9 décembre) que la Commission européenne a déposé un projet de directive relative à l'amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme. La directive proposée fournit, notamment, une liste de critères de contrôle permettant de déterminer si la plateforme est un « employeur ». Si la plateforme remplit au moins deux de ces critères, elle serait juridiquement présumée être un employeur. Affaire à suivre !

Point d’action

Lorsque vous collaborez avec des travailleurs indépendants, assurez-vous que l’exécution concrète de la collaboration indépendante ne révèle pas l’existence d’un lien de subordination et de maintenir des best practices, par exemple concernant les instructions, l’horaire, les absences, les évaluations, les organigrammes, etc.